À propos de Thomas Seeley

 

Thomas Dyer Seeley
Photo : Jan Michael-Rucher école Villa le Bosquet

Par Stephen Fleming (version anglais Beecraft Magazine,UK)
Traduction en Française par Jane Martin

Si vous n’avez jamais entendu Tom Seeley parler de ses recherches sur les abeilles, vous en aurez presque certainement entendu parler par d’autres apiculteurs. Il est parmi les conférenciers les plus populaires des conventions sur les abeilles, et ses découvertes ont étonné et enrichi de nombreux apiculteurs.

 

J’ai rencontré Tom un samedi, en fin d’après-midi, au moment où les stands étaient démontés à la fin du « National Honey Show » à Londres (octobre 2017), m’attendant à le trouver éreinté après avoir délivré quatre conférences, présenté un quiz pour « Bees for Development » et s’être fait arrêter partout pour répondre aux questions des enthousiastes.

« Il n’y avait pas grand’ chose qui demandait vraiment beaucoup de travail », dit il. « C’est un plaisir pour moi de partager cette information. La plupart de ce que je fais avec mes étudiants n’est pas juste pour voir comment fonctionne une colonie, mais aussi pour informer des apiculteurs de la biologie de l’abeille et du fonctionnement de la nature. C’est formidable de rencontrer tous ces gens qui s’y intéressent autant. C’est une expérience rare pour un universitaire ! »

 « Nous sommes formés pour porter un regard critique et nous focaliser sur les lacunes des résultats d’autrui, mais les apiculteurs ne s’intéressent pas à ces aspects ; ils se montrent contents de partager ce que nous avons trouvé. Ils voient le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. »

Découvrir et partager

Pour Tom, la communication avec des apiculteurs est un aspect relativement récent de son travail. En tant qu’universitaire, il dit que la première moitié de sa carrière s’est réduite à se bâtir une réputation afin d’attirer des étudiants compétents et le financement nécessaire pour grimper à l’échelle académique. Mais il est arrivé à un point où cela devenait moins important que de communiquer ses trouvailles et ses résultats. De son livre La démocratie chez les abeilles – l’un des livres les plus éclairants et populaires sur le comportement des abeilles – il dit, « Je voulais écrire ce livre pour que tout le monde puisse prendre plaisir à suivre l’histoire des abeilles lors de l’essaimage. L’histoire est trop belle pour rester entre les pages des journaux scientifiques…je me suis bien amusé à la reconstituer pour pouvoir la partager. »

Tom a failli ne jamais faire de la recherche sur les abeilles – au bénéfice de la médecine. Il s’est toujours intéressé au fonctionnent des êtres vivants. « Avant d’avoir découvert les abeilles, je me suis orienté vers la médecine parce que j’étais fasciné par le fonctionnement du corps humain. » Ayant d’abord fait la connaissance des abeilles à l’école primaire, quand le père d’un camarade de classe apporta une ruche et du miel en rayons, il est resté sur la voie médicale pendant ses études de premier cycle, jusqu’à ce qu’il se rende compte que les abeilles et le fonctionnement de leurs colonies étaient ce qui l’intéressait encore plus que de tout savoir sur le corps humain.

1 Le chemin de la recherche

Élevé – là où il habite encore – à Ithaca, dans la région magnifique de Finger Lakes dans l’État de New York, Tom partit à Dartmouth College, dans le New Hampshire pour ses études de premier cycle, et ensuite à Harvard pour celles des deuxième et troisième cycles. Pourtant, c’est près d’Ithaca, avec son mélange de champs et de forêts – dont ces dernières étaient parsemées de colonies d’abeilles sauvages vivant dans les arbres – où il a été le plus influencé dans la poursuite de ses études. Ceci est d’autant plus vrai depuis 1986, quand il commença son travail à Cornell, où il est professeur (la chaire Horace White) de biologie au Département de neurobiologie et du comportement.

Sa carrière en tant que chercheur peut se lire dans ses livres qu’il écrit à raison d’un ouvrage tous les dix ans, en faisant une synthèse de certains sujets particuliers : l’écologie naturelle de l’abeille mellifère (Honeybee Ecology, 1985 – non traduit à ce jour), l’organisation sociale de l’abeille sauvage autour du butinage, (The Wisdom of the Hive, 1996 – non traduit à ce jour), l’intelligence collective de l’essaim lors de sa recherche d’un nouveau nid (Honeybee Democracy, 2010, traduit en français sous le titre La démocratie chez les abeilles. Un modèle de société, 2017, chez les éditions Quaé) et, enfin, comment les abeilles vivent à l’état sauvage, un livre qu’il rédige actuellement, et dont vous pourrez suivre quelques grandes lignes en lisant Following the Wild Bees, 2016 – non traduit à ce jour).

Au cœur de ses recherches, nous trouvons l’enquête qu’il a menée sur les signaux émis par les ouvrières pour intégrer leurs activités au sein de leur entité-colonie, surtout les signaux mécaniques et acoustiques. « Ce sont les signaux les plus accessibles. Nous, les humains, pouvons ‘écouter aux portes’ des abeilles assez facilement, et parfois même leur renvoyer des signaux. Les signaux chimiques présentent un plus grand défi. D’habitude nous ne pouvons que les caractériser, et ensuite constater leur effet sur les abeilles. Personnellement, je m’en suis tenu à l’écart ! La tache qui consiste à relever, à identifier et à renvoyer les signaux s’avère bien plus difficile pour les signaux chimiques que pour les signaux mécaniques, qu’ils soient tactiles ou sonores.

Inspiré par les travaux de décodage de von Frisch, en observant la danse frétillante pour indiquer des sources de nourriture, Tom était curieux de savoir comment un signe particulier pouvait fonctionner autour du butinage en participant au système social de la colonie. En étudiant la danse frétillante, il remarqua la danse « tremblante », déjà observée par von Frisch, qui n’en avait pas compris le sens – si perplexe qu’il offrit un prix à quiconque pouvait le déchiffrer. Ce fut Tom, en 1991, mais neuf ans après son décès. Tom avoue, avec une petite moue de déception, n’avoir pu recevoir le prix des mains de son héros scientifique.

 Il est, néanmoins, fier de sa résolution du ‘mystère des abeilles à la danse tremblante’ ( The mystery of the tremble dancing bees »), un sujet de recherche qu’il trouve particulièrement satisfaisant : « Les colonies d’abeilles à miel existent depuis 30 millions d’années, comme nous avons pu voir d’après les fossiles. Karl von Frisch a pu déchiffrer la danse frétillante, mais moi, j’ai eu le plaisir d’être le premier être humain à en comprendre le message. Les deux danses (tremblante et frétillante) sont des signaux de recrutement produits par les butineuses, mais là où la danse frétillante sert à amener plus d’abeilles à butiner quand les ressources sont abondantes, la danse tremblante cherche à encourager plus d’abeilles à recevoir le nectar entrant lorsque la vitesse d’engrangement augmente fortement. Tout comme une banque aura besoin de plus de guichetiers lorsqu’il y a plus de clients, une colonie aura besoin de plus de travail d’encaissement lorsque le travail des butineuses augmente, sinon le travail de déchargement se trouve freiné, et donc inefficace. »

2 Le mystère étincelant

Ayant mené des recherches sur l’intelligence des colonies dans le contexte du butinage, Tom pensait qu’il pouvait y inclure une étude sur les mystères de l’essaimage en tant que défi à l’intelligence collective. Fort de l’accès à une île sans arbres, où il allait pouvoir contrôler les sites de nidification disponibles, il mit en route des expériences afin d’analyser le pourquoi et le comment de leur choix de nouveau logis, et réussit de grandes avancées dans ce domaine.

D’une certaine manière, Tom pense que les essaims sont plus faciles à étudier que les colonies butineuses, mais puisque les colonies n’essaiment pas tous les jours, il faut saisir les opportunités qui sont offertes. Il découvrit beaucoup de secrets au cœur de l’essaim pendant la première décennie du 21 ième siècle, une période qui coïncidait avec la perte énorme de colonies aux USA à cause du varroa. Une nouvelle direction de recherche se fit jour vers 2010 : comment les colonies sauvages arrivent-elles à survivre à ce terrible acarien ? Ainsi, depuis cette date, la vie des colonies sauvages est le pôle majeur de ses recherches.

De tous les mystères qu’il a pu rencontrer concernant la vie sociale et le comportement des abeilles, Tom pense que comprendre le moment où elles décident d’essaimer est le secret le plus dur à percer, et restera longtemps un mystère, au moins sur la durée de sa vie. « C’est une partie fondamentale de la biologie de l’abeille et, de toute évidence, une importante prise de décision. Il est clair que tout commence avec la décision d’élever des reines, mais notre compréhension de cet aspect du fonctionnement d’une colonie reste très limitée. Il y beaucoup d’excellentes hypothèses sur ce qui initie cette pulsion mais, à ma connaissance, personne n’a réussi l’expérience définitive qui en identifierait le ou les leviers. C’est une interrogation fabuleuse – un mystère étincelant ! »

Les paysages et leur rapport à la recherche

Les paysages de New York et de la Nouvelle Angleterre offrent des opportunités particulières pour mener des recherches, et Tom a su les reconnaître et les utiliser à son avantage. Dans les iles Britanniques, il serait difficile de trouver l’équivalent, que ce soit les grands paysages forestiers qui se trouvent sur le pas de sa porte, dans l’Ithaca, les étendues isolées du Cranberry Lake Station, ou l’île dénudée dans le Maine où il a pu contrôler les sites de nidification potentiels. Quelles seraient les particularités britanniques qu’il aurait essayé d’exploiter s’il avait dû mener ses recherches sur ces îles ?

Il imagine qu’il aurait cherché les zones les plus sauvages de la Grande Bretagne, à la recherche de l’isolement (pour les abeilles et les chercheurs), si important pour beaucoup d’études. Mais il choisit un aspect qui l’intrigue, « J’aurais vraisemblablement choisi Apis mellifera mellifera, votre abeille native qui, sur des millions d’années, s’est adaptée au climat et aux rythmes saisonniers. Et je me serais concentré sur la compréhension de toutes les séquences adaptatives qui ont dû évoluer chez les abeilles locales. Mes conversations avec des apiculteurs écossais m’ont appris que personne n’a exploré l’espace le plus sauvage de l’Écosse – le Parc national des Cairngorms – à la recherche de colonies sauvages. Je suis persuadé que des colonies existent, et qu’elles possèdent des adaptations fascinantes leur permettant de vivre au nord des Îles Britanniques. »

3 Un regard vers l’avenir

Concernant l’avenir de l’abeille mellifère aux USA, Tom avoue des sentiments partagés.

« L’apiculture à grande échelle aux USA est rude pour les abeilles. Certains apiculteurs perdent un grand pourcentage de leurs abeilles chaque année, peut-être 50% du cheptel, donc après ces pertes, ils sont toujours obligés de se reconstruire. Ils savent que ce n’est pas bon pour les abeilles, mais ils persistent à garder des colonies de cette manière parce que la pollinisation paie bien. »

Il est soutenu par un mouvement pour une apiculture naturelle, où des apiculteurs essaient de travailler selon les besoins des les abeilles plutôt que de se focaliser sur une production maximale de miel, qui met en péril la santé de leurs colonies.

« Il est difficile d’imaginer comment ces deux approches (commerciale et naturelle) peuvent marcher ensemble, car elles ne cherchent pas la même chose, et les moyens dépendent des objectifs.»

 À la recherche d’une nouvelle synthèse

Étant donné que le futur livre de Tom racontera la vie naturelle des abeilles, et se rapportera à l’apiculture naturelle, l’on peut se demander où il portera son regard par la suite. Ce n’est pas facile de répondre, et Tom s’accorde toujours un temps de réflexion avant de parler.

Il y a beaucoup de sujets de recherche qu’il aimerait revisiter afin de mieux comprendre ce qui se passe. Il va jusqu’à garder un carnet de projets potentiels – ce qui doit être une aubaine pour tout chercheur en herbe. Néanmoins, il est tenté par une énorme entreprise, quelque chose qu’il pense correspondre à ce stade de sa carrière – revenir sur le livre phare de C.R. Riband The Behaviour and Social Life of Honey Bees, publié il y a plus de 60 ans, en 1953. Même The Biology of the Honey Bee, de Mark Winston date d’il y a 30 ans. « J’aimerais beaucoup en écrire un nouvel ouvrage de synthèse. Le comportement et la vie sociale de l’abeille sont au cœur de toutes mes recherches. Mais, allons savoir si j’aurais l’endurance et les compétences pour achever ce travail… » Espérons qu’il les trouvera !

© texte : copyright pour la version Française:Beecraft Magazine,UK et rucher école Villa le Bosquet