Livre Warré 29

Chapitre 29 – Achat de colonies – extrait du livre : L’apiculture pour tous » par Abbé Warré

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On peut peupler les ruches de plusieurs manières : par l’essaimage artificiel, par l’achat de ruches vulgaires, par l’achat d’essaims.L’essaimage artificiel doit être préféré. On opère quand on veut, à la date la plus propice. On opère sur des colonies que l’on sait fortes et saines ; ce qui devient rare.

Quand on débute on ne peut pas faire d’essaims artificiels. Autant que possible on achètera des ruches vulgaires. Ces ruches donneront de forts essaims. On pourra faire aussi leur transvasement à la date la plus propice. D’ailleurs, dans ces ruches, il y a beaucoup de chances que la colonie soit saine aussi. Le fixisme n’est pas envahi par la loque comme le mobilisme.

Enfin, quand on ne peut faire autrement, on achètera des essaims après s’être assuré, si possible, que leur rucher n’est pas envahi par la loque.

Essaims d’éleveurs
Les essaims d’éleveurs sont les meilleurs, et même les plus économiques, parce que les plus productifs, si l’éleveur pratique une sélection continuelle dans son élevage et s’il livre ses essaims dans des conditions honnêtes. Or, l’éleveur a intérêt à faire une sélection continuelle dans son rucher. Quant à ses livraisons, on peut les surveiller.
Époque de l’achat

Le meilleur moment pour l’achat et l’installation d’un essaim, c’est le commencement de la grande miellée. À cette époque, l’acheteur ne risque guère d’avoir à nourrir son essaim ; il a, au contraire, toute chance de le voir s’installer rapidement, ramasser ses provisions pour l’hiver, et même, les années mellifères, lui donner une récolte. Les mois suivants, l’apiculteur n’aura avantage à acheter des essaims qu’autant qu’il aura des rayons entièrement bâtis à leur donner, ainsi que des provisions. Si la production de cire ne coûte rien pendant la miellée, elle coûte très cher en dehors d’elle.
Poids de l’essaim
On achètera toujours un essaim de 2 kilos. Proportionnellement, il coûte moins cher qu’un essaim de 1,5 kg ou de 1 kg, puisque dans tous il n’y a qu’une reine à payer, qu’un port et qu’un emballage. D’ailleurs, une forte colonie dans une ruche donne de meilleurs résultats et compense largement la dépense première. C’est un capital qu’on confie à la société apicole de la ruche. Celle-ci emploiera ce capital avec sagesse et saura le faire fructifier. L’essaim perd de son poids dans le voyage, en raison de la distance et de la température. Il est difficile d’apprécier à l’arrivée le poids donné au départ. L’honnêteté du fournisseur a donc une grande importance.
Reine
Pour la présence et la qualité de la reine, il faut s’en rapporter à l’honnêteté du fournisseur. On pourrait toutefois demander à l’éleveur de procéder comme je le faisais lorsque je pratiquais l’élevage. La reine était enfermée avec quelques abeilles dans une boîte, comme si elle avait été expédiée par la poste. La boîte était placée au milieu des abeilles de l’essaim. À l’arrivée, l’acheteur n’avait qu’à prendre la boîte contenant la reine, à la placer dans la ruche comme s’il s’agissait de donner une reine à l’acceptation. Les abeilles allaient d’elles-mêmes entourer la reine. De cette façon, le travail était facilité. Les abeilles ne s’échappaient pas. On pouvait opérer à n’importe quelle heure et on ne pouvait incriminer ni la malhonnêteté du vendeur, ni la maladresse de l’acheteur.
Race 
lI y a un grand nombre de races d’abeilles, mais deux races seulement sont très répandues et dignes d’attention : la race commune et la race italienne. L’abeille commune a le corps brun-noirâtre ; l’abeille italienne a deux anneaux de l’abdomen jaune doré. L’abeille italienne a la langue plus longue ; elle peut visiter plus de fleurs. Les années peu mellifères, elle produit davantage que l’abeille commune. L’abeille italienne est plus vive, plus active, autre qualité qui augmente sa production ; mais cette vivacité n’augmente-t-elle pas sa méchanceté ? Non, si elle est traitée comme elle doit l’être, ce qu’exige d’ailleurs aussi l’abeille commune. Je trouve même l’abeille italienne plus douce que l’abeille commune, parce qu’elle comprend plus vite ce que l’apiculteur lui demande, par les bouffées de fumée de son enfumoir. Et l’activité de l’abeille italienne ne la rend pas, non plus, plus pillarde à la condition que l’apiculteur diminue à temps, comme il doit toujours le faire, les entrées des ruches voisines dont les colonies sont faibles. L’abeille italienne est aussi plus prolifique, même sans l’emploi du nourrissement stimulant, si coûteux et si dangereux. C’est une qualité importante. Je lis parfois qu’on attribue la terrible loque à l’italienne. Quelle erreur ! L’abeille italienne a, au contraire, toutes les qualités pour lutter contre cette maladie. On a commencé à reconnaître la loque au moment où on a commencé à introduire l’abeille italienne, paraît-il. C’est possible, mais c’est au même moment qu’on a introduit la ruche à cadres, où l’abeille s’épuise inutilement. C’est au même moment qu’on a propagé les méthodes qui augmentent encore cet épuisement. C’est aux mauvaises ruches à cadres et aux mauvaises méthodes qu’il faut attribuer le développement de la loque. La loque n’a pas d’autres causes à son origine : surmenage, affaiblissement de la race. Pendant plus de vingt-cinq ans, j’ai étudié les races d’abeilles les plus répandues. C’est la race italienne que je conseille à tous les apiculteurs, et peu importe s’ils ne la conservent pas dans la pureté de sa race : ce qui n’est pas nécessaire pour qui ne fait pas d’élevage. La race commune, à mon avis, convient aux débutants, parce qu’ils ne doivent pas engager trop de capitaux sans avoir fait preuve de capacité. Et je suis d’avis que la race commune serait excellente si elle était sélectionnée comme l’a été l’italienne. Et je dois aussi avertir les apiculteurs que beaucoup d’éleveurs, s’ils font, d’une part, par intérêt d’ailleurs, une sélection par le choix des colonies reproductrices, vont, d’autre part, à l’encontre de la sélection que la nature aurait faite elle-même. Dans une colonie orpheline, les abeilles élèvent 10 à 15 reines. La reine qui éclôt la première, par conséquent la plus forte, la plus vigoureuse, va tuer les autres avant leur naissance : c’est une sélection sévère. Cette sélection serait trop coûteuse pour les éleveurs. Ceux-ci isolent les cellules royales avant les éclosions. Ils en conservent quinze sur quinze quand la nature n’en conserve qu’une sur quinze. La nature prévoit encore une sélection lors de la fécondation de la reine. Pour se faire féconder, la reine s’élance dans les airs d’un vol vertigineux. Seul le mâle le plus vigoureux peut l’atteindre. Si la reine d’élevage artificiel est peu vigoureuse, elle peut être atteinte par un mâle moins vigoureux. Là encore, il y a infériorité. En pratique, acheter des abeilles italiennes si on peut les trouver chez un éleveur qui procède selon les anciens principes de sélection et d’élevage et s’il ne nourrit pas ses abeilles avec du sucre. Sinon, on se contentera de l’abeille commune. Cette race sera bientôt améliorée, au point d’être supérieure à la race italienne des éleveurs modernes, si on suit bien notre méthode suppression des colonies faibles, multiplication par l’essaimage artificiel des meilleures colonies.
Prix
Le prix d’un essaim varie avec sa race, son poids et l’époque de sa livraison. Généralement, on estime qu’un essaim de 2 kilos d’abeilles italiennes vaut, au commencement de la miellée, le prix de 20 kilos de miel (prix de gros), port et emballage en plus. Ce prix est légitime, car l’éleveur, en vendant cet essaim, annihile la production d’une bonne colonie qui aurait donné 20 kilos de miel quelques semaines plus tard. L’essaim d’abeilles communes vaut 25 % en moins. Après la miellée, l’essaim n’a plus la même valeur. Car il faut envisager : 1. Qu’on devra lui donner au moins 100 grammes de sirop chaque jour de l’été où il n’y aura pas de miellée, afin de lui faire bâtir les rayons nécessaires à un bon hivernage ; 2. Qu’on devra, fin août, compléter ses provisions par un apport parfois de 10 à 12 kilos de miel. Au contraire, si vous donnez un essaim de 2 kilos, au commencement de la miellée, à une Ruche Populaire, vous récolterez la première année, et plus que les années suivantes, parce que les abeilles ne seront pas arrêtées dans leur travail par les soins à donner au couvain, puisqu’il n’en existe pas. 3. Je dois faire observer que pour obtenir le même résultat dans une ruche Dadant, il faudrait introduire un essaim de 4 kilos au moins. Emballage Une grosse faute Un journal apicole a publié la liste d’éleveurs à qui il a été fait une attribution spéciale de sucre. Si ces éleveurs font vraiment de la sélection, cette sélection se trouvera annihilée par cette nourriture anormale, qui conduit inévitablement à la dépression de la race, dépression qui constitue un terrain favorable au développement des maladies, de la loque entre autres.

Emballage
On emballe les ruches vulgaires vers le soir, après les avoir enfumées. On les place dans une toile à grandes mailles, qu’on fixe avec des ficelles. Au-dessous, on fixera des baguettes permettant la circulation de l’air.
La ligature est tout à fait au bas de la ruche. Nous avons indiqué un mode d’emballage. Voici mieux. Au lieu de ficelle, employer des pointes fines de 40 mm qu’on enfonce à la main dans la paille du panier. Ce procédé permet plus d’adhérence entre panier et toile (vieux sac en jute). Il se trouvera moins de vides entre toile et panier, vides où pourraient se réfugier des abeilles qui y mourraient écrasées ou étouffées. Si le panier doit voyager par le train, on lui donnera un emballage en bois. Pour cela, établir deux croix formées de planchettes de 0,01 x 0,10, d’une longueur égale au diamètre du panier. Réunir ces croix par des planchettes semblables d’une longueur égale à la hauteur du panier. Ainsi emballé, le panier sera tenu renversé, l’ouverture en haut pour éviter l’étouffage des abeilles. L’étiquette adresse et l’étiquette abeilles vivantes seront fixées en conséquence. Dans ces conditions, le panier n’a à craindre que les chocs violents.
Transport
Le transport des ruches vulgaires doit s’effectuer avec douceur et précaution. On les transportera donc de préférence à la main, en tout cas dans des véhicules à ressorts doux. Si la chose est possible, il y aura moins de brisures de rayons si on place ceux-ci dans le sens de la marche. Les ruches doivent être déposées le soir à la place qu’elles doivent occuper définitivement. On coupe la ficelle et on fait tomber la toile. Le lendemain on enlève la toile. En attendant qu’on puisse mettre en place ces ruches, on les déposera à l’ombre, de préférence dans un endroit frais et obscur. Il est préférable de faire le transport des ruches vulgaires à l’automne. Car à partir de janvier le transport fait l’effet du nourrissement stimulant. Il peut provoquer un essaimage précoce et empêcher de faire le transvasement au bon moment.
Installation du panier

Rarement les paniers ont une contenance de 40 litres. Dans ces conditions, pour éviter l’essaimage printanier avant le transvasement, il est bon d’installer le panier sur une hausse amorcée ou, mieux, bâtie si on en possède. Parce que les paniers ont des dimensions différentes qui ne concordent même jamais avec le carré de nos hausses, on se trouvera bien d’employer notre plateau spécial qui s’emboîte sur une hausse et peut recevoir des paniers de toutes dimensions. Nous nous résumons. Sur un plateau ordinaire, placer une hausse amorcée ou bâtie. Sur cette hausse placer notre plateau spécial. Sur ce plateau spécial placer le panier bien au milieu. Puis couvrir le tout d’un toit, de papier goudronné, etc., pour l’abriter de la pluie. S’il y avait des passages d’abeilles entre le panier et le plateau spécial, les fermer avec du pourget, du mortier, etc. On n’a plus qu’à attendre l’heure du transvasement.
Nourrissement
Si à l’arrivée du panier on constate qu’il ne pèse pas 18 kg, en fin octobre et 15 kg en février, il faut prévoir un nourrissement. Pour cela, avant l’installation du panier, on placera un petit nourrisseur sur le plateau ordinaire, sous la hausse. On se servira de ce nourrisseur quand la température le permettra et aussitôt que l’exigera l’état de la colonie. Ne pas oublier que le petit nourrisseur ne peut servir que lorsque les abeilles sortent dans la journée. S’il fallait nourrir par temps froid, il faudrait employer un autre moyen. Emplir une petite bouteille avec du sirop. Fermer le goulot avec une toile fine qu’on fixe avec une ficelle. Percer un trou dans le haut du panier, y introduire le goulot de la bouteille renversée. Si le panier pèse beaucoup plus, il aura le grave inconvénient de ne pas laisser assez de place pour le développement du couvain au printemps. Dans ce cas la hausse bâtie est plus nécessaire. Or ce panier peuplé donnera un essaim de 2 à 3 kg d’abeilles saines. Les maladies sont rares dans les ruches communes. On pourra le transvaser comme il convient le premier jour de la grande miellée, puisqu’on l’aura sous la main. De ce fait, il donnera la première année, trois mois après son installation, une récolte abondante, d’autant plus que, si on a suivi tous mes conseils, on aura pratiqué la méthode que j’appelle héroïque.
Chasses ou Trévas
On conseille dans beaucoup de manuels de peupler les ruches avec des abeilles sauvées de l’étouffage, ce que l’on appelle chasse ou trévas. Pour réussir à constituer une bonne colonie avec ces abeilles, il y a plusieurs conditions. Il faut d’abord disposer, pour chaque chasse, de deux hausses entièrement bâties et de 12 kg de provisions en miel de préférence, provisions qu’on fera absorber rapidement. Il est donc nécessaire d’opérer en septembre, car en octobre il n’y aura pas toujours beaucoup de jours chauds où les abeilles seront en état d’absorber les provisions. Il est nécessaire aussi d’opérer avec de fortes colonies, parce qu’il n’y aura pas de couvain qui pourra augmenter le nombre des abeilles, ni remplacer celles qui seront tuées dans l’opération. Il est vrai qu’on pourra souvent réunir deux chasses. Mais dans ce cas il est nécessaire de supprimer une des deux reines. On emploiera pour cela notre grille à reine. Cette opération est décrite plus loin. Mais comment retirer les abeilles de la ruche vulgaire ? Par tapotement, comme nous l’avons dit au chapitre Transvasement. Ce sera rarement possible en septembre. La température ne sera pas assez chaude. D’ailleurs, le propriétaire de la ruche vulgaire ne permettra pas toujours le tapotement, parce qu’il détériore la ruche. Reste l’asphyxie. Voici comment on procède pour asphyxier les abeilles : Mettre 5 grammes de sel de nitre dans un vase, y ajouter assez d’eau pour faire fondre le sel. Mettre dans ce liquide des chiffons, des morceaux de vieux sacs, assez pour absorber tout le liquide. Faire sécher ces chiffons à distance d’un foyer, car ils prennent feu facilement. Faire brûler les chiffons au-dessous de la ruche commune après les avoir couverts d’une tôle, afin que les abeilles ne tombent pas dans les flammes. Tapoter légèrement la ruche pour faire tomber les abeilles. Enlever la ruche et ramasser les abeilles. S’il y a des tas d’abeilles importants, les étendre afin que les abeilles puissent respirer tout de suite et qu’elles ne puissent se noyer dans leurs excréments, car le sel de nitre leur a donné une diarrhée brutale. Opérez assez vite dans tout ce travail.
Essaims sauvages
Il arrive souvent que des essaims s’établissent dans des creux d’arbres, dans des vieux murs épais, etc. Comment s’en emparer ? Opérer au commencement de la grande miellée. Créer deux ouvertures si elles n’existent pas : l’une en haut de l’emplacement occupé par l’essaim, l’autre en bas. Au-dessus de l’ouverture du haut, placer une caisse, une hausse de Ruche Populaire. Par l’ouverture du bas enfumer jusqu’à ce que les abeilles soient toutes sorties. Dans la caisse on a un essaim qu’on traite comme les autres. On récolte ensuite le miel et la cire que les abeilles ont laissés, sans s’occuper du couvain. Ce travail est rarement rémunérateur. Le soir l’essaim doit être transporté à 3 kilomètres au moins de son emplacement, sinon les abeilles, du moins les vieilles, retourneraient à cet emplacement. On peut placer l’essaim plus près de son ancien emplacement si on le fait d’abord séjourner trois jours dans la cave avant son installation. Dans ce cas lui donner un peu de provisions. On peut aussi recueillir des essaims sauvages de passage. Pour cela, on déposera des ruches ou ruchettes de préférence sur une élévation, près du rucher, près d’un bois. Dans la ruche, on disposera quelques vieux rayons. Il est bon de frotter les parois de la ruche avec une poignée de mélisse officinale ou avec de la propolis dissoute dans de l’alcool à brûler. Si ces essaims sont faibles, ou arrivent tard, on devra les nourrir pour leur faire construire des rayons et ensuite pour compléter leurs provisions hivernales.