Livre Warré 70
Chapitre 70: L’apiculture intensive- extrait du livre : « L’apiculture pour tous » par Abbé Warré
En apiculture, comme en beaucoup d’autres branches de la production, c’est la course aux millions. Je tiens à dire à mes lecteurs que cette course aux millions est, en réalité, une course à la mort.
J’ai été jeune. J’ai cru bien faire de pratiquer l’élevage artificiel des reines. Or, je me suis aperçu qu’à côté d’une bonne reine, je ne fournissais que des reines médiocres et inférieures. J’ai abandonné cet élevage parce que j’ai la prétention d’être honnête.
J’ai pratiqué la Capucine d’Angers où les colonies travaillaient aussi en commun. Grande mise de fonds, beaucoup de travail, orphelinages nombreux, résultats aléatoires, en tout cas toujours insuffisants. J’ai abandonné cette méthode dont on ne parle d’ailleurs plus depuis longtemps.
Aussi les méthodes intensives modernes ne me tentent pas : nourrissement stimulant, blocage de la reine, chauffage de la ruche, superposition de colonies, etc. Je ne les juge donc que pour ce qui saute aux yeux de tout apiculteur quelque peu expérimenté.
Le surmenage détruit la race
J’ai vu bien des recherches de surproduction dans l’aviculture, par exemple. On a obtenu des sujets de grande production. Mais à côté il y a des infirmités, des maladies, des mortalités précédemment inconnues. De ce fait la production totale est plutôt diminuée et la race est détruite. À mon avis, on est en voie de commettre les mêmes erreurs dans l’apiculture. Déjà on peut constater les progrès continuels de la loque. La race affaiblie n’a plus la force d’annihiler les microbes qu’elle rencontre.
J’ai connu des poulaillers où l’on pratiquait la production intensive des œufs. La production paraissait merveilleuse de novembre à février. En mars la ponte cessait et toutes les poulettes mourraient si on ne les vendait pas pour la table. Pour repeupler le poulailler, il fallait recourir à d’autres élevages.
C’est pourquoi j’ai la conviction que les méthodes apicoles intensives modernes conduiront au succès de la ruche commune et de la Ruche Populaire qui seules conserveront la race.
Les variations de température refroidiront souvent les ruches du bas et obligeront les abeilles à un surmenage pour rétablir la température normale. L’ouverture fréquente des ruches les obligeront encore à un nouveau surmenage. Or tout surmenage affaiblit les races.
Enfin l’élevage artificiel qu’on pratique dans ces méthodes ne donnera que des reines médiocres et inférieures. La race n’y gagnera pas encore.
De ce fait on arrivera à ne posséder que des abeilles faibles, mauvaises ouvrières, incapables de résister aux maladies, à la loque surtout.
Le bénéfice des méthodes intensives est aléatoire
Le but de ces méthodes est d’obtenir de fortes populations au moment de la miellée. C’est évidemment le moyen d’obtenir de fortes récoltes.
Or la date de la miellée ne peut être prévue un mois à l’avance. La température peut avancer ou retarder la miellée de huit jours ; d’où une différence de quinze jours. On arrivera donc parfois trop tôt, parfois trop tard : d’où travail inutile, si on arrive trop tard, travail onéreux si on arrive trop tôt, car il faudra nourrir généreusement ces colonies fabuleuses.
La pratique des méthodes intensives est dangereuse
La superposition des ruches est encore plus néfaste que les autres méthodes intensives.
Au printemps nous avons souvent des baisses de température considérables. Les ruches du bas souffriront toujours de cette baisse de température : d’où mort du couvain avec toutes ses conséquences.
La pratique des méthodes intensives est très coûteuse
Pour pratiquer ces méthodes il faudrait des ruches d’une fabrication spéciale très coûteuse. Il faut en tout cas employer un certain nombre de grilles d’une fabrication spéciale très coûteuse aussi. D’où une mise de fond plus grande qui diminue le rendement réel de la méthode.
De plus, pour manœuvrer ces ruches entières à des hauteurs différentes, il faut être un fort de la halle ou avoir des auxiliaires courageux et habitués aux abeilles. Il ne faut pas oublier que la propolis, la colle la plus collante, compliquera toujours ce travail. D’où nouvelle source de dépenses.
La pratique des méthodes intensives demande beaucoup de temps
La pratique de toutes ces méthodes demande beaucoup de travail. La superposition des ruches demande même un travail si absorbant que l’apiculteur ne pourra se livrer à aucune autre occupation. Ce n’est pas le cas de la plupart des apiculteurs. Pour eux l’apiculture est un travail supplémentaire.
Il faut noter que la pratique des méthodes intensives irrite les abeilles et les rend parfois intraitables quelle que soit leur race, parce que l’ouverture fréquente de la ruche et le refroidissement du couvain mécontente nécessairement les abeilles.
Sans craindre un démenti, j’affirme que le travail exigé par un groupe de quatre ruches conduites à la façon intensive, que ce travail permettrait de cultiver tout un rucher de ruches populaires. Or ce rucher donnerait plus de miel, avec moins de soucis, surtout si on y pratiquait notre méthode héroïque, méthode sans aléa, qui ne surmène pas l’abeille. Elle lui supprime un travail momentanément inutile (élevage de couvain) pour lui permettre un travail utile (récolte de miel)